1. Introduction
La pandémie de Covid-19 a entraîné la mise en œuvre d’un ensemble de mesures d’urgence, à l’échelle mondiale et en Suisse dès février 2020, afin de contenir la propagation du virus. Cependant, les répercussions de la pandémie diffèrent entre les pays en raison des disparités dans le fonctionnement des institutions, du degré d’atteinte du virus et des réponses promulguées par les autorités. Il est donc capital d’étudier cet épisode historique hors du commun pour en tirer des enseignements au niveau suisse.
Bien qu’elles aient été particulièrement touchées – à différents niveaux vu leur mandat – la gestion de la pandémie par les institutions policières et pénitentiaires n’a pas fait l’objet de nombreuses investigations. La Suisse n’en compte en l’occurrence aucune à ce jour. L’analyse des stratégies adoptées par ces secteurs d’intervention d’urgence, fréquemment confrontés à des crises, s’avère donc particulièrement pertinente. En effet, le cas des organisations urgentistes est intéressant précisément parce qu’elles sont en principe préparées, à travers le développement de processus dédiés, à gérer des événements perturbateurs. La crise de Covid-19 constitue ainsi un révélateur du degré d’efficacité de ces réponses.
L’objectif principal de cette étude consiste donc à investiguer les capacités de résilience opérationnelle et managériale de ces institutions. Elles ont dû gérer des niveaux très élevés de stress organisationnel pour continuer d’effectuer leurs missions tout en évitant la propagation du virus. Les enjeux sanitaires et sécuritaires ont nécessité des changements de pratiques rapides et/ou l’assignation de nouvelles tâches. Cela requiert de la résilience organisationnelle (RO). Par conséquent, il est crucial d’identifier les leviers organisationnels, de pilotage et de management leur ayant permis de faire face à ce contexte exceptionnel.
La question de recherche de cet article est donc la suivante : Quelles sont les caractéristiques organisationnelles les plus importantes pour nourrir la résilience des institutions policières et pénitentiaires confrontées à la crise de Covid-19 en Suisse romande ?
L’attention se porte ainsi sur les institutions des cantons romands du concordat latin : Genève, Vaud, Valais, Neuchâtel, Fribourg, Jura. Répondre à cette question revêt un intérêt majeur, dans la mesure où les leviers de RO identifiés peuvent très largement inspirer le management d’autres types d’organisations en période de crises. En l’occurrence, ces apports peuvent nourrir leurs réflexions stratégiques, grâce à la clarification des éléments clés à considérer.
2. Revue de la littérature
2.1 Les conceptualisations de la résilience organisationnelle
C’est sur la base de son étymologie latine resiliere, signifiant « rebondir » (Tenakoon & Janadari, 2021) que les sciences physiques définissent la résilience comme « la capacité d’un système physique de revenir à sa forme originelle après une perturbation » (Barasa et al., 2018, p. 491). La RO est généralement comprise comme la capacité de l’organisation de continuer à réaliser ses objectifs et missions lorsque les chocs auxquels elle fait face la font sortir de son cadre de fonctionnement habituel (Barasa et al., 2018 ; Rahi, 2019). L’intérêt pour l’application du concept aux organisations répond à l’augmentation des événements perturbateurs impactant leur fonctionnement et leur survie (Barasa et al., 2018 ; Rahi, 2019 ; Vakilzadeh & Haase, 2021).
Bien que le concept reste flou à ce jour (Vakilzadeh & Haase, 2021) parce qu’assorti d’une grande diversité de définitions (Conz & Magnani, 2020), deux conceptualisations majeures de la RO se dégagent de la revue de littérature. Premièrement, la perspective de l’ingénierie de la résilience la conçoit comme la capacité de rebondir, principalement par le maintien des fonctions et la récupération rapide via la mobilisation des ressources nécessaires (Hillmann & Guenther, 2021), dans une logique de cause à effet mécanique (Barasa et al., 2018).
Deuxièmement, la perspective de la résilience écologique, plus récente, applique le concept tel que précédemment décrit aux systèmes sociaux complexes dont la dimension adaptative est caractéristique. À la capacité de rebondir face au choc est alors ajoutée celle de s’y adapter, pour continuer à prospérer (Barasa et al., 2018 ; Tenakoon & Janadari, 2021 ; Rahi, 2019). Le système apprend donc de la crise rencontrée en même temps qu’il l’absorbe et se restructure pour devenir plus fort (Barasa et al., 2018). Activités d’anticipation et d’adaptation – témoignant de la capacité d’apprentissage – se combineraient alors dans un processus proactif continu visant la survie à long terme (Tennakoon & Janadari, 2021).
S’inscrivant dans la ligne de cette seconde perspective, Conz et Magnani (2020) mettent plus spécifiquement en lumière la dimension temporelle de la RO qui interviendrait au cours de trois phases : proactive (en amont du choc) ; absorptive et/ou adaptative (au cours du choc) ; réactive (après le choc). Par ailleurs, les capacités d’absorption reposeraient sur la robustesse organisationnelle développée de manière proactive et sur l’agilité opérationnelle, conçue comme la capacité à fournir une réponse rapide tout en conservant la stabilité structurelle, dans la phase réactive. La robustesse constituerait alors un préalable à l’agilité et l’alliance des deux permettrait de maintenir un équilibre et de limiter les vulnérabilités de l’organisation. Quant aux capacités d’adaptation, elles procéderaient notamment de l’adaptabilité de l’organisation – ou aptitude à s’ajuster aux changements environnementaux – développée en amont, et de la flexibilité, assimilée à une capacité de reconfiguration rapide des structures, pour s’adapter à l’environnement de façon réactive. Ces notions connexes à celles de rigidité et d’agilité organisationnelles qui s’entremêlent dans le processus de RO méritent clarification.
2.2 Les concepts de rigidité et agilité organisationnelles
Selon Angeles et al. (2022) et Devise et al. (2008), la rigidité structurelle – et la stabilité qui en découle (Devise et al., 2008) – augmente entre autres avec le contrôle et le nombre de niveaux hiérarchiques, la centralisation de la prise de décision, la standardisation des activités et de la coordination entre les diverses unités internes ou la structuration des communications. Autrement dit, le degré de « bureaucratisation » et de « formalisation » des organisations constitue aussi un indicateur de rigidité structurelle (du Gay et al., 2017). La littérature managériale souligne en effet que les structures bureaucratiques sont souvent associées à plus de contraintes administratives, à des lenteurs décisionnelles et à une cascade de procédures et processus formalisés encadrant leurs activités (Giauque, 2004). Selon certains théoriciens des organisations (théorie de la contingence), la rigidité organisationnelle serait particulièrement adaptée à un environnement simple et stable (Lawrence & Lorsch, 1967). La robustesse organisationnelle est quant à elle associée à la stabilité structurelle, soit au fait que sa structure constitue un pilier assurant un fonctionnement stable de l’organisation (Conz & Magnani, 2020).
Pour ce qui est de l’agilité et de la flexibilité, la conceptualisation proposée par Conz et Magnani (2020) inspirera en substance l’interprétation qui en est faite dans ce papier, à savoir : une capacité à fournir des réponses rapides et adaptées à l‘environnement. C’est parce que des auteurs font de ces concepts des synonymes (Phillips & Tuladhar, 2000), que certains réfèrent à l’un sans l’autre (Riberot, 2019 ; Tienari & Tainio, 1999) ou les distinguent plus ou moins (Conz & Magnani, 2020 ; Harraf et al., 2015) qu’ils seront ici utilisés de façon indifférenciée, en suivant toutefois une conception de la flexibilité qui, selon Tienari et Tainio (1999), se différencie des conceptualisations dominantes issues de la littérature managériale. Artisane du « mythe de la flexibilité » (Ibid), ladite littérature managériale la définit comme une capacité constante d’adaptation rapide aux changements environnementaux imprévisibles. L’impasse y est dès lors faite sur les rigidités – conçues comme des obstacles dans le processus de changement organisationnel – et ainsi, sur la nature complexe et paradoxale de la flexibilité organisationnelle (Ibid).
Dans cette perspective, divers auteurs investiguent des configurations impliquant flexibilité et rigidité. Ainsi, la perspective de la flexibilité tenue par Tienari et Tainio (1999) met l’accent sur la nécessité pour le management de naviguer entre trois couples d’équilibre d’opposés qui articulent coexistence de : contrôle et autonomie (centralisation et décentralisation) ; stabilité et changement ; unité et diversité. Pour Harraf et al. (2015), la flexibilité tout comme l’adaptabilité sont des composantes de l’agilité. Elles constituent deux types de réponses possibles, respectivement planifiées (anticipation et proactivité) et non-planifiées (rapidité et réactivité), aux changements environnementaux. À travers les concepts de flexibilité stratégique et de flexibilité structurelle, Angeles et al. (2022) soutiennent également que formalisation et flexibilité ne sont pas antagonistes. Tant l’une que l’autre intègre en effet des éléments structurels permettant d’agir face à l’environnement, respectivement de manière proactive et en « soutien à la planification stratégique » (Ibid, p. 274).
Quant à l’articulation entre rigidité et agilité organisationnelles dans le cadre de la RO, Riberot (2019) explore les pratiques agiles mises en œuvre au sein d’organisations de type bureaucratique comprenant une composante militaire. D’après son étude, « l’adaptation s’appuie d’une part sur les règlements qui offrent un cadre structurel à la fois solide et souple sur lequel les acteurs vont pouvoir bâtir une réponse ad hoc, et d’autre part sur un mélange d’anticipation et d’habitudes acquises à « sortir du cadre » par les acteurs » (Ibid, p. 294). Il semble, en effet, que les organisations résilientes soient précisément celles qui sont capables de concilier rigidité et agilité organisationnelles, de façon complémentaire plutôt que de manière antagonique. Les deux faces de la résilience sont ainsi traitées de façon plus détaillée dans la prochaine section de l’article.
2.3 Les facteurs de résilience organisationnelle
2.3.1 Entre rigidité…
La culture organisationnelle anticipative et proactive compte parmi les facteurs de résilience constituant des éléments rigides de la structure organisationnelle. Elle s’incarne sous forme de plans de résilience (Vakilzadeh & Haase, 2021) ou de gestion des risques, comprenant des scénarios et exercices de crise (Barasa et al., 2018). Cela fait écho aux « variantes de fonctionnement » (Ibid), permettant d’atteindre un but en empruntant des voies alternatives si des perturbations sont rencontrées dans le cadre du fonctionnement normal (Ibid).
La culture anticipative est en relation directe avec l’activité de construction de la connaissance de l’environnement, réalisée à travers l’utilisation de systèmes de surveillance internes et externes. Ainsi, faire preuve de proactivité via la compréhension et l’évaluation de l’environnement opérationnel et externe de l’organisation, l’interprétation des changements qui s’y produisent et l’identification des signaux d’alerte permet de se préparer pour s’adapter au choc, au moment opportun (Barasa et al., 2018 ; Rahi, 2019 ; Vakilzadeh & Haase, 2021).
Construire sa connaissance de l’environnement requiert l’existence de systèmes d’information permettant le partage des informations et connaissances – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation – à travers une gestion claire de l’information et une communication efficace. Ce facteur de résilience favorise l’adaptation aux crises, de manière appropriée et au moment adéquat (Barasa et al., 2018 ; Rahi, 2019 ; Vakilzadeh & Haase, 2021).
La gestion de l’information et la communication contribuent pour leur part à l’exercice de pratiques sociales et environnementales, comprises comme le développement et l’entretien de réseaux sociaux internes et externes solides (Barasa et al., 2018 ; Vakilzadeh & Haase, 2021), utiles tant pour la construction de la connaissance de l’environnement (Rahi, 2019) que pour la collaboration – par l’extension du bassin de ressources dans lequel puiser (Barasa et al., 2018 ; Rahi, 2019). Le développement de relations robustes se fonde sur des interactions fréquentes qui stimulent la coopération, d’autant plus en temps de crise et encore davantage si les acteurs se connaissent personnellement et préalablement au choc (Boissières & Marsden, 2005).
De telles relations favorisent la robustesse organisationnelle (Boissières & Marsden, 2005). Liée à la stabilité des structures, permettant de garder le contrôle et une constance dans le fonctionnement, la robustesse constitue un élément essentiel pour la résistance et le maintien par absorption du choc (Conz & Magnani, 2020). Elle peut également se fonder sur des pratiques de gouvernance induisant la rigidité, telles que le contrôle hiérarchique, la centralisation des prises de décision ou la structuration des communications (Angeles et al., 2022 ; Devise et al., 2008).
La planification anticipée de mise en réserve de suppléments de ressources non-nécessaires au fonctionnement usuel de l’organisation et mobilisables en cas d’urgence (Barasa et al., 2018 ; Conz & Magnani, 2020 ; Vakilzadeh & Haase, 2021) – nourrissant également la robustesse – est un autre paramètre essentiel de la dynamique de résilience absorptive (Conz & Magnani, 2020).
Enfin, diverses pratiques de ressources humaines contribuent à prévenir la survenue d’événements perturbateurs. Il s’agit par exemple du recrutement du nombre approprié d’employés dotés des compétences adéquates pour leur poste de travail ou de leur fournir les ressources adaptées à leurs besoins pour l’exécution du travail (Barasa et al., 2018).
2.3.2 …et agilité
Parmi les facteurs favorisant l’agilité organisationnelle, plusieurs s’articulent avec des éléments de rigidité déjà traités. Ainsi, les variantes de fonctionnement s’enracinant dans la culture organisationnelle anticipative se révèlent aussi concourir à l’adaptabilité face au choc (Barasa et al., 2018).
Une telle réponse est facilitée lorsque couplée à l’usage de ressources variées et complémentaires, dont la disponibilité est garantie au cours du choc (Conz & Magnani, 2020). Mobiliser les réseaux sociaux via les pratiques sociales et environnementales est une manière d’y parvenir (Barasa et al., 2018). Assurer une certaine diversité des effectifs – donnant lieu à une complémentarité des comportements et compétences – via certaines pratiques de ressources humaines en est une autre (Kim et al., 2021 ; Vakilzadeh & Haase, 2021).
La construction de la connaissance de l’environnement constitue selon Rahi (2019) le terreau des capacités d’adaptation de l’organisation. Elle est en l’occurrence l’un des paramètres à travers lesquels se réalisent les pratiques de liminal leadership (Shaw-VanBuskirk et al., 2019). Introduire la liminalité – phase transitoire du changement (Ibid) – demande aux managers d’immédiatement conduire l’organisation dans une nouvelle phase de fonctionnement et repose sur la capacité de faire sens de l’environnement (Vakilzadeh & Haase, 2021) et des changements, de les analyser et les interpréter en regard des objectifs de l’organisation afin d’en réaligner les priorités (Hillmann & Guenther, 2021 ; Rahi, 2019). Cela appelle aussi l’aptitude à créer du sens, encourager les relations (Vakilzadeh & Haase, 2021), établir une vision claire et commune via laquelle stimuler les énergies (Barasa et al., 2018), ainsi qu’à mobiliser et articuler les ressources nécessaires (Rahi, 2019).
Ces pratiques managériales et leur efficacité requièrent des systèmes de gestion de l’information et de communication efficaces. Par ailleurs, les communications bottom-up et horizontale sont cruciales dans la mise en œuvre de l’agilité (Harraf et al., 2015). Elles alimentent notamment les pratiques de leadership complexe et la prise de décision inclusive. Selon Barasa et al. (2018), les premières reviennent à l’adoption d’une posture de médiation et de facilitation des actions collectives, plus que d’une posture directive et contrôlante. La seconde est caractérisée par l’implication des parties prenantes pertinentes au processus décisionnel.
De plus, l’agilité serait intimement liée au degré de distribution du pouvoir au sein de l’organisation, lui permettant de fournir des réponses rapides et appropriées à l’environnement (Harraf et al., 2015). La décentralisation structurelle compte ainsi parmi les pratiques de gouvernance favorisant l’agilité, au même titre que la planification itérative permettant d’apprendre par essai-erreur, via des allers-retours entre différents niveaux organisationnels (Barasa et al., 2018).
L’activation de ces facteurs est favorisée par l’existence d’une culture de l’innovation (Harraf et al., 2015), instaurant une atmosphère dans laquelle les employés se sentent confiants et encouragés à partager leurs idées (Barasa et al., 2018). Elle constitue un vecteur d’anticipation et d’adaptation aux situations perturbatrices (Rahi, 2019 ; Vakilzadeh & Haase, 2021). Par ailleurs, évoluer au sein d’un environnement en réseau empreint d’une culture collaborative facilite l’apprentissage (Angeles et al., 2022) et la propagation des innovations (Barasa et al., 2018).
Enfin, les capacités d’apprentissage organisationnel s’activent en cours de crise à travers la perception de ces dernières comme des opportunités, notamment d’apprentissage (Barasa et al., 2018 ; Harraf et al., 2015), et la planification itérative (Barasa et al., 2018). Post-crise, ces capacités se matérialisent tant dans l’analyse et la documentation de sa propre expérience que dans l’échange soutenu d’informations avec d’autres organisations. Les apprentissages effectués doivent ensuite être implémentés dans le cadre de la gestion organisationnelle du changement (Vakilzadeh & Haase, 2021).
Sur la base de la revue de littérature précédente, dont l’objectif était d’identifier les principaux facteurs concourant à développer des conditions favorables à la RO (cf. tableau récapitulatif, dans Giovannini & Giauque, 2023, p.17), l’hypothèse générale de recherche visant à constituer le fil rouge des analyses empiriques est formulée ci-après : la rigidité et l’agilité organisationnelles s’articulent à travers les divers facteurs de résilience relevés et concourent de façon importante à la RO.
3. Méthodologie
La recherche qualitative consiste à tester les différentes variables identifiées dans la littérature portant sur la RO. En l’occurrence, la revue de littérature sur laquelle se fonde l’étude empirique compte en son socle six articles de revue. Trois d’entre eux ont une vocation prioritairement théorique, visant à affiner la conceptualisation de la RO (Conz & Magnani, 2020 ; Hillmann & Guenther, 2021 ; Tenakoon & Janadari, 2021). Les trois autres, à vocation principalement empirique, visent à faciliter l’opérationnalisation du concept (Barasa et al., 2018 ; Rahi, 2019 ; Vakilzadeh & Haase, 2021). Le choix de ces articles de revue couvrant tant la dimension de la conceptualisation que de l’opérationnalisation est particulièrement pertinent compte tenu de l’enjeu de définition et de mesure du concept de RO. Le spectre de recherche comprend ainsi au total les 533 articles investigués par les six articles de revue principaux, dont 397 théoriques et 136 empiriques.
La confidentialité des données a été assurée, dès la prise de contact avec les participants. Les douze institutions cantonales, polices et prisons confondues, que comptent les six cantons de Suisse romande ont fait l’objet d’une demande d’entretien. L’échantillon d’étude de la présente recherche est in fine constitué d’agents provenant d’un total de neuf institutions cantonales, dont cinq institutions policières et quatre pénitentiaires, au sein de cinq cantons. Vingt-cinq personnes, de genres masculin (21) et féminin (4), ont ainsi pris part à des entretiens semi-directifs d’une durée d’une heure en moyenne. Parmi elles, vingt-deux sont des cadres supérieurs de rangs N à N-2 et deux des cadres intermédiaires de rang N-3. La vingt-cinquième personne, sans fonction de cadre, a géré le transfert des informations sanitaires entrantes et sortantes d’une prison. Une première catégorisation de l’ensemble des facteurs de résilience déduits de la revue de littérature a été établie, en inspiration à celle proposée par Vakilzadeh et Haase (2021). Sur cette base, une grille d’entretien a été développée à travers la construction de nouvelles catégories d’indicateurs. Les nombreuses variables d’analyse ont ainsi pu être traitées à travers un nombre limité de questions, ce qui a permis de respecter le cadre temporel fixé pour les entrevues.
L’analyse des données se fonde sur quatorze codes issus de la déconstruction, puis reconstruction des catégories d’indicateurs utilisées pour créer le guide d’entretien. Des codes ont ainsi été attribués à des variables et indicateurs spécifiques. Mais il s’est aussi parfois agi de répartir des indicateurs associés à la même variable dans des codes différents, ou encore de regrouper des indicateurs associés à des variables différentes dans un même code (cf. code book, dans Giovannini & Giauque, 2023, p.95). Les données ont ensuite fait l’objet d’une analyse thématique suivant un modèle de codage fermé, sur la base de comptes-rendus des entretiens (Andreani et Conchon, 2005).
4. Résultats
Les organisations faisant partie de l’échantillon d’étude sont empreintes d’une culture anticipative. Elle s’incarne au niveau de la conduite des opérations, référant à la manière de travailler en interne et avec les partenaires, ainsi qu’aux ressources requises pour faire face à différentes sortes de crises. Dans leur majorité, les institutions policières et pénitentiaires disposent de plans de gestion des risques et de scénarios de crise « en mode dégradé ». Ces plans de dégradation mènent à la priorisation des activités et prestations, impliquant la renonciation à certaines d’entre elles, leur réduction ou réorganisation, de même que la réaffectation des effectifs, selon les degrés de gravité de la crise et essentiellement en cas de manque de personnel. En définitive, la « caisse à outils est prête », selon un cadre de police. De plus, chaque canton est pourvu d’un état-major cantonal de conduite (EMCC) – déclenché par l’exécutif en cas de catastrophes majeures – qui organise annuellement des exercices de gestion de crise. Un autre cadre de police confirme :
« Notamment avec l’EMCC on avait fait un certain nombre d’exercices. Là c’était la pandémie mais on peut imaginer une attaque terroriste, une inondation, un crash d’avion… différents scénarii dans lesquels on s’exerce avec nos partenaires pour avoir les bons réflexes et surtout mettre en place des processus de déclenchement des partenaires ».
Ainsi, plusieurs répondants affirment qu’une telle culture anticipative – tout comme l’agilité et la réactivité qu’elle a permises face à la crise de Covid-19 – est inscrite dans les structures des institutions urgentistes. La rapidité de l’adaptation s’est en effet appuyée sur les modes opératoires et capacités de réorganisation existants, les structures de conduite préétablies (en interne et avec les partenaires intra et inter cantonaux), l‘expérience de collaboration avec les partenaires, ainsi que la polyvalence des agents formalisée dans leur cahier des charges.
« Dans le cahier des charges c’est bien marqué qu’ils peuvent être affectés à n’importe quelle autre tâche au sein de la prison [mais aussi sur différents sites de l’institution], en fonction des besoins et pour le bon fonctionnement des établissements » (Cadre de prison).
La construction de la connaissance de l’environnement permettant l’identification des changements et signaux d’alerte se fonde sur l’existence, dans la majorité des institutions, de systèmes de surveillance internes et externes. Ils prennent la forme d’outils technologiques et de canaux de communication formels institutionnalisés et informels (top-down, horizontal, bottom-up) permettant la récolte d’informations et le répertoriage des risques, afin d’établir les mesures appropriées en fonction de la situation. En interne, les logiciels One Note, Share Point, Excel, mais également des matrices d’analyse de risques ou encore l’intranet des organisations font partie desdits outils exploités. À l’externe, outre les agents dits « capteurs » présents sur le terrain et les services de renseignement, on mentionne entre autres, le suivi de l’actualité et le recours à divers instruments d’évaluation de la situation. L’utilisation de tels systèmes a ainsi permis le suivi des informations quant au rapprochement progressif du virus vers la Suisse, le déclenchement des EMCC à son arrivée aux portes de l’Europe, et la restructuration rapide du fonctionnement des organisations, suivant l’annonce de semi-confinement par le Conseil fédéral, à la mi-mars 2020.
Ces facteurs reposent sur l’existence de systèmes de gestion de l’information et de communication. La majorité des institutions possèdent divers types de canaux de communication top-down, horizontaux et bottom-up, de nature tant formelle qu’informelle. Ils couvrent le spectre des catégories de médias dits riches – le face-à-face et le téléphone – et pauvres – communications écrites personnelles et documents écrits impersonnels (Pallud, 2018). Le recours majoritaire aux communications en face-à-face – consubstantielles d’une communication efficace, d’après les données récoltées –, ainsi que l’intensification de leur fréquence d’utilisation ont permis une adaptation rapide et appropriée au choc. Par ailleurs, disposer de référents directs connus, notamment parmi les partenaires externes, est un autre élément relevé comme concourant à l’efficacité de la communication.
Les deux facteurs précédemment cités ont ainsi facilité l’impulsion d’une nouvelle phase dans la conduite organisationnelle. Dans la majorité des cas, après l’analyse et l’interprétation des données environnementales, les pratiques de liminal leadership se sont traduites d’une part, par la mise en œuvre de plans de dégradation, réorganisant les ressources et activités. Le réalignement des priorités a donné lieu à la création de réserves opérationnelles d’effectifs et à la réaffectation des agents aux nouvelles tâches et missions. Par exemple, au sein d’une police cantonale, une nouvelle structure baptisée « Division de Sécurité Publique » (DSP) a été constituée afin de garantir le socle minimal d’effectifs, dans l’éventualité où une part importante des agents se retrouveraient neutralisés à cause du Covid. Toute l’activité y a ainsi été restructurée, par l’intégration au sein de la DSP de la moitié du personnel provenant de différents services. D’autre part, la mobilisation des énergies a été favorisée par la fréquence des communications formelles et informelles, surtout à travers des médias riches. L’étude confirme aussi l’importance de communiquer des objectifs clairs, de créer du sens – notamment par la transparence sur les décisions – et d’assurer l’unité de l’action par l’instauration de manières de travailler communes.
La disponibilité des ressources nécessaires est assurée de deux manières au sein des secteurs en question. Si cela vaut pour la prévision de groupes électrogènes en cas de blackout, par exemple, constituer des réserves de ressources matérielles, financières et technologiques se fait rarement. Il s’agit plutôt d’en libérer par le biais de la réorganisation des activités ou de s’en procurer par la mobilisation des réseaux sociaux internes et externes. D’après un cadre de police :
« L’élément clé de nos organisations, c’est l’humain. Si vous n’avez pas l’humain, vous pouvez avoir tous les matériels que vous voulez, ça sert à rien. En plus les matériels vieillissent extrêmement vite […] alors qu’on doit les avoir au goût du jour quand on travaille avec. Par contre, on a une capacité opérationnelle en équipement pour faire face à un coup dur ».
Ainsi, les ressources humaines ont en l’occurrence fait l’objet de « réserve » à travers la réorganisation des activités et la création de structures permettant de réassigner les agents aux tâches propres à la gestion de la crise sanitaire. La détention de ressources variées et complémentaires repose également sur la sollicitation des réseaux sociaux qui ont constitué des leviers privilégiés en cours de crise, pour la majorité des institutions. En interne, la polyvalence des effectifs et leur diversité en termes de compétences a permis leur réaffectation à des tâches inhabituelles. En externe, on a recouru au soutien des partenaires, aussi sur le plan matériel.
Certaines pratiques de ressources humaines s’alignent alors avec les caractéristiques du facteur susmentionné. En effet, les collaborations visant l’échange d’informations et le soutien en ressources humaines et matérielles constituent l’équivalent d’un déploiement de ressources adaptées aux besoins des agents. En outre, une attention est donnée au recrutement de personnel aux compétences variées. Cela est facilité par le fait que les agents ont tous une formation préalable à celle de policier et d’agent de détention.
« Quand on engage un agent de détention, on regarde quand même quelle est sa formation de base en se disant que s’il est électricien et qu’on a un problème d’électricité dans l’établissement, il peut faire la première évaluation, avant d’éventuellement faire venir quelqu’un. » (Cadre de prison)
Un cadre d’une autre prison complète :
« On a tous les corps de métier, maçonnerie, sanitaire, chauffage, électricité, agriculture […]. Y a peut-être 80 agents qui [ont le brevet d’agent de détention] mais qui travaillent dans des secteurs de l’artisanat ou de l’agriculture. Ce sont des personnes qui sont engagées dans d’autres secteurs en cas de crise, selon les besoins. Donc bien sûr on a de la réserve. »
Les pratiques sociales et environnementales ont ainsi vu leur importance illustrée. Dans la majorité des institutions, les réseaux internes sont développés et entretenus via l’utilisation de médias riches, à fréquence régulière : pour les communications formelles (top-down et bottom-up) entre les cadres de différents échelons ; pour les échanges informels entre divers niveaux hiérarchiques, favorisés par la proximité spatiale sur le lieu de travail ; pour les échanges formels au niveau du terrain (horizontal) et entre le terrain et divers niveaux hiérarchiques (bottom-up). Concernant les réseaux externes (cantonaux et intercantonaux), on déclare disposer, dans la majorité des cas, de référents directs et entretenir avec les partenaires usuels des communications régulières (formelles et informelles), via des médias riches – davantage sur le plan cantonal. Les données de l’étude révèlent encore qu’en raison de la nature de son activité, la police possède un réseau de partenaires plus dense que les institutions pénitentiaires. Un cadre de police explique :
« La police a une grande expérience de travail avec de multiples partenaires… la santé, la sécurité à l’international et à l’interne, les maisons de quartier, les travailleurs sociaux, les communes, les commerces, les transports publics… c’est ce qui permet à la police d’être très réactive car ce sont des partenaires du quotidien avec qui des liens de confiance sont établis ».
L’enquête met aussi en lumière l’intérêt des pratiques de leadership complexe. L’adoption de postures souples comme la médiation, l’ouverture aux opinions divergentes et aux craintes auraient en effet contribué à « garder tout le monde à bord » (cadre de police), en cours de crise. Elles doivent cependant s’équilibrer avec une posture plus directive dans les premiers temps de l’urgence, notamment. Quant à la prise de décision inclusive, son utilité est majoritairement admise. Divers canaux et espaces de communication formels et informels permettant la remontée des idées, informations ou critiques sont établis dans la majorité des institutions. Les médias riches formels, vecteurs d’échanges en bilatérale ou en groupe, entre cadres ou entre divers niveaux hiérarchiques (cadres supérieurs, intermédiaires et agents de terrain), sont les plus utilisés en temps normal et de crise. À nouveau, dans les premiers temps de l’urgence la prise de décision stratégique se centralise. Les retours du terrain sont ensuite pris en compte ou sollicités afin de rectifier les mesures mises en œuvre, le cas échéant. Un cadre de police explique qu’au printemps, la population alors confinée a voulu profiter de l’arrivée des beaux jours. Puisque le confinement total n’avait pas été ordonné par l’autorité politique, on a assisté sur le terrain à un afflux massif de personnes dans les parcs et au bord du lac. Sur la base de ce constat, des propositions visant à limiter les contaminations par sectorisation, verrouillage, filtrage des espaces sont remontées à la cellule de l’EMCC, puis à l’exécutif cantonal, afin que de nouvelles décisions soient prises. Cette chaîne d’information a été très réactive, au jour le jour, en fonction des réalités du terrain.
Le mode de fonctionnement bottom-up décrit ci-dessus est propre à la planification itérative, une pratique de gouvernance favorisant l’agilité. Quant aux pratiques de gouvernance induisant la rigidité, elles constituent la base du fonctionnement de ces secteurs très hiérarchisés. Les éléments établis et formalisés en temps normal, à l’interne et avec les partenaires, ont constitué un socle pour la restructuration formelle des activités en temps de crise, et ce aux niveaux des EMCC, des institutions, divisions et unités. Il s’agit en l’occurrence des structures de conduite, des canaux de communication, des cahiers des charges, des directives, procédures et protocoles. La restructuration s’est traduite par la distribution de rôles spécifiques au sein des structures de conduite (décentralisation structurelle), par la réassignation des tâches, la fixation de nouvelles règles et champs missionnels, ainsi que par l’établissement de nouvelles structures et cellules opérationnelles.
Les moyens de communication horizontaux et ascendants présents dans toutes les institutions sont à-même de favoriser les échanges d’idées et de connaissances et ainsi, la promotion d’une culture de l’innovation. Parmi ces vecteurs, le système institutionnalisé de retours sur expérience (RETEX) prend la forme de discussions post intervention, faisant office de bilans. Il existe à chaque niveau hiérarchique et est parfois utilisé dans un sens ascendant, lorsqu’il semble pertinent que de bonnes pratiques soient partagées. La communication horizontale passe quant à elle entre différentes unités et à différents échelons, notamment via la configuration du travail en états-majors. Une majorité de répondants soutiennent que le personnel est encouragé à s’exprimer librement – au travers d’espaces établis à cet effet et/ou de manière informelle – et sa force de proposition est bien souvent valorisée. Certains interviewés admettent toutefois que les critiques peinent à être directement adressées à la hiérarchie et que l’utilisation privilégiée de la voie hiérarchique pour la remontée des informations fait perdre de sa substance aux échanges.
Finalement, le système de RETEX témoigne de l’existence de capacités d’apprentissage. Il a servi d’outil de planification itérative, permettant l’ajustement des mesures selon les retours du terrain, en cours de crise. Aussi, au moment de la réalisation de l’étude et avec des variations en fonction des institutions, l’élaboration de bilans post-crise a été effectuée, est en cours ou prévue, tout comme sur le plan inter-organisationnel (intra et intercantonal). L’échange actif d’informations dans ce but semble cependant moins institutionnalisé sur le plan intercantonal.
« [En interne,] on a fait un RETEX très détaillé où on a listé par domaine de base tout ce qui a bien et pas bien fonctionné […] pour voir comment on peut faire pour que ce qui n’a pas très bien fonctionné cette fois, fonctionne mieux la prochaine. Il y a aussi des choses qu’on a testées pendant la crise et qu’on a gardées. » (Cadre de police)
Des leçons ont ainsi été tirées dans plusieurs domaines, démontrant une aptitude à percevoir les chocs comme des opportunités d’apprentissage. Par exemple, l’expérience de crise a permis de corriger et d’expérimenter des modes de fonctionnement alternatifs, d’accélérer la mise en place d’instruments de communication, ou encore d’éprouver certains processus en situation réelle. Enfin, dans plusieurs institutions, la gestion organisationnelle du changement mène à l’implémentation des apprentissages à travers l’attribution de nouvelles tâches et missions ou par la mise en place de formations opérationnelles.
5. Discussion
La recherche qualitative avait pour but de mettre en évidence les caractéristiques organisationnelles les plus importantes pour nourrir la RO des institutions faisant partie de l’échantillon d’étude. Elle a, d’une part, mis en lumière le fait que la majorité des institutions possèdent et ont activé la quasi-totalité des facteurs de RO identifiés à travers la revue de littérature, à des degrés variables. Cela permet de confirmer que ces derniers constituent des leviers organisationnels, de pilotage et de management sur lesquels capitaliser pour faire preuve de résilience face à des chocs d’ampleur, tel que l’a été la crise de Covid-19. D’autre part, l’étude a permis de démontrer que le cas des institutions policières et pénitentiaires est emblématique de la coexistence d’éléments formalisés assurant la rigidité des structures et d’autres prévoyant leur flexibilité. Ces caractéristiques, s’articulant à travers les facteurs de résilience activés dans le cadre de leur gestion de crise, concourent ainsi de façon significative à nourrir leur RO.
En effet, divers facteurs constituant plutôt des éléments structurels rigides, favorisent le déploiement de réponses flexibles, tout comme plusieurs facteurs constituant plutôt des vecteurs d’agilité s’ancrent dans des activités formalisées. Tel l’illustre, par exemple, le processus de prise de décision en situation de crise, décrit ci-après. La centralisation de la prise de décision (pratique de gouvernance induisant la rigidité), préférée dans le premier temps de l’urgence, a concouru à la rapidité de la réponse (Harraf et al., 2015). Cette réponse a par ailleurs consisté en la décentralisation des nouvelles tâches au sein des structures de conduite (pratique de gouvernance favorisant l’agilité) – la décentralisation étant considérée comme menant à une efficacité accrue (Ibid). Dans un second temps, les retours du terrain ont été sollicités pour adapter les décisions prises de manière centralisée (planification itérative et prise de décision inclusive). L’exécution en cours de crise de ces pratiques agiles s’appuie en partie sur leur institutionnalisation dans le cadre du fonctionnement normal des organisations. Cela corrobore les investigations des scientifiques attestant l’existence de configurations organisationnelles où les rigidités font partie intégrante des réponses flexibles (Angeles et al., 2022 ; Harraf et al., 2015 ; Tienari & Tainio, 1999) et résilientes (Riberot, 2019).
Plus spécifiquement, et comme le suggèrent Conz et Magnani (2020), la robustesse organisationnelle, fondée sur des activités d’anticipation structurées, constitue un préalable à l’agilité. En effet, la formalisation dans leur cahier des charges de la polyvalence des agents et de leur possible réaffectation à de nouvelles tâches, le recrutement de personnel possédant des compétences diverses, la planification itérative ancrée dans le système de RETEX, l’existence de variantes de fonctionnement à déclencher en cas de besoin, les systèmes d’information et de communication structurés, ainsi que le fonctionnement de ces institutions en états-majors décentralisés sont autant d’exemples de paramètres structurels qui ont non seulement permis de maintenir la stabilité des structures au moment du choc, mais également de fournir des réponses rapides et nouvelles, en temps voulu. Cette caractéristique est inhérente aux secteurs urgentistes, dotés d’une culture organisationnelle empreinte d’une vision de survie de long terme et de proactivité, face aux éventuelles futures menaces. Comme l’explique Riberot (2019) en parlant de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, « la souplesse organisationnelle [de ces institutions] s’appuie sur une capacité à anticiper les événements de façon à pouvoir disposer de schémas de réponse préétablis » (Ibid, p. 319) favorisant la réactivité.
L’enquête a enfin permis de saisir le caractère prépondérant de certains facteurs de résilience dans le processus de RO des institutions faisant partie de l’échantillon d’étude. En l’occurrence et succinctement, en amont du choc la culture anticipative et proactive a été décisive en termes de réactivité et d’agilité de la réponse, le moment venu. Au cours du choc, ce sont les pratiques sociales et environnementales, les pratiques de gouvernance favorisant l’agilité, les pratiques de liminal leadership, la gestion de l’information et la communication, ainsi que les capacités d’apprentissage – dont l’utilité se prolonge post choc – qui se sont révélées déterminantes à plusieurs égards. Des configurations gagnantes de facteurs considérés essentiels, potentialisant une plus grande résilience, ont également pu être proposées (Giovannini & Giauque, 2023).
6. Conclusion
Les capacités d’anticipation, d’absorption, d’adaptation et d’apprentissage semblent constituer les dimensions clés de la RO (Conz & Magnani, 2020 ; Barasa et al., 2018 ; Tennakoon & Janadari, 2021 ; Vakilzadeh & Haase, 2021). Les divers facteurs de résilience déduits de la revue de littérature et observés empiriquement s’y combinent, sur fond d’articulation entre rigidité et flexibilité organisationnelles (Conz & Magnani, 2020 ; Riberot, 2019). Ainsi, la posture adoptée par les institutions en question n’a pas tant consisté à choisir entre rigidité ou agilité organisationnelles mais à les orchestrer, dans des séquences spécifiques à l’urgence et au contexte auquel elles ont été confrontées. Cela leur a permis d’exploiter au mieux cette gouvernance organisationnelle nécessairement ambivalente.
Une marge d’amélioration possible quant aux capacités d’apprentissage a émergé d’un entretien. En effet, les RETEX sont systématiquement effectués à tous les échelons hiérarchiques, mais ils sont plus structurés aux niveaux supérieurs. Un interviewé note donc que ceux des niveaux inférieurs gagneraient à l’être également, afin de tirer une meilleure plus-value des apprentissages utiles, développés plus près du terrain.
Les principales limites de cette recherche consistent premièrement en l’existence éventuelle d’une variabilité dans les résultats, sur certains aspects. Cela tient au fait que le nombre de répondants varie pour les différentes institutions, comme leurs rangs hiérarchiques et leurs fonctions. De plus, compte-tenu des contraintes temporelles des entretiens, toutes les questions n’ont pas pu être posées à tous les interviewés. Deuxièmement, un biais peut être souligné quant à l’échantillon d’étude, principalement constitué de cadres. En l’occurrence et comme l’indique entre autres la littérature sur le silence organisationnel (Rocha et al., 2017), les relations entre la hiérarchie et les employés de terrain sont empreintes de dynamiques délicates. Il est donc raisonnable d’envisager la possibilité que le point de vue des subordonnés diffère plus ou moins de celui des cadres, à propos de sujets comme celui de la prise de décision inclusive, par exemple.
Conflits d’intérêt
Les auteurs n’ont pas de conflits d’intérêt à déclarer.
Funding Information
Cet article est basé sur une recherche ayant bénéficié du soutien financier de la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique (FDCA) de l’Université de Lausanne.
